Mieux comprendre la réforme de la péréquation proposée par le Conseil d'Etat - Janvier 2016

Le 21 janvier 2016, une délégation du Conseil d’Etat annonçait, lors d’une conférence de presse, une adaptation de la péréquation intercommunale pour 2017 déjà. Etant donné les importantes pertes de recettes fiscales des personnes morales qu’engendrerait la 3ème réforme des impôts sur les entreprises (RIE III), le Gouvernement souhaite anticiper les impacts financiers négatifs en renforçant la solidarité entre les communes. En effet, les pertes nettes de la RIE III sont estimées à CHF -116.5 mios pour les collectivités locales vaudoises. Selon le Conseil d’Etat, ce « plus de solidarité » dans le système péréquatif permettrait d’atténuer les impacts pour une partie des communes. C’est pourquoi, il en a fait son premier objectif politique d’accompagnement à la réforme fiscale et son anticipation. Il a également fixé trois autres objectifs péréquatifs : aider les communes les plus touchées par les pertes fiscales liées à RIE III, préserver l’intérêt des communes à affecter des zones au développement économique et favoriser les communes qui assument des charges de ville centre.

Nous proposons ici d’aborder trois points essentiels de cette proposition de réforme péréquative : la relation entre la modification de la péréquation et la RIE III, les deux modifications proposées et leurs impacts, et les résultats obtenus.

En préambule, il est important de relever que si cette réforme péréquative est incomplète, comme annoncé dans la presse par l’Union des Communes vaudoises (UCV), les communes soutiennent toujours la RIE III.

Réforme fiscale et réforme péréquative

La réforme fiscale des entreprises engendre, apparemment, d’autres réformes dans divers domaines. Celle de la péréquation, dont la mise en oeuvre s’étale de 2017 à 2020, accroît la solidarité entre les communes à faible potentiel fiscal et celles à fort potentiel fiscal<link themes economie-et-finances perequation rie-iii-reforme-ce>1. Elle permettrait de poser de nouvelles bases sur lesquelles pourraient venir s’appuyer d’autres mesures destinées à atténuer les pertes fiscales, comme la redistribution de la compensation de la Confédération (estimée actuellement à CHF 34 mios). Globalement, 50 communes participeront davantage à la péréquation (environ CHF 47 mios) au profit des 268 autres. Toutefois, cette réforme péréquative n’a aucun effet direct sur la RIE III pour les communes, dans la mesure où l’augmentation de la solidarité n’a strictement aucun impact sur les pertes fiscales. Ces dernières demeurent : plus de solidarité ne signifie pas plus de richesse. Elle ne répond pas non plus à la motion Wyssa demandant une compensation des pertes engendrées par la mise en oeuvre anticipée de la RIE III en 2017 et 2018 (environ CHF 25 mios). La RIE III est une pilule difficile à avaler pour les collectivités, mais elles ont choisi d’aller dans cette direction pour le bien de l’économie vaudoise et suisse. Une réforme péréquative plus appropriée aux nouveaux enjeux serait donc la bienvenue.

Les communes vaudoises seront touchées de manière très différente par la RIE III. En moyenne, elles perdront environ 2.6% de leurs recettes fiscales – prises en compte dans la péréquation,  selon les estimations actuelles.  Ces baisses de recettes  se  retrouveront bel et bien dans les budgets communaux (pertes fiscales directes). Ensuite, les effets péréquatifs devront  être  mesurés.  Il  est  donc  trompeur  de  dire  qu’en  2020,  268  communes  seront favorisées par ces nouvelles mesures  proposées par le Gouvernement.  Ce projet ne considère que  la situation actuelle  –  toute chose étant égale par ailleurs. Dès lors, il serait possible de dire que sans la RIE III, en 2020, la solidarité serait accrue au profit de 268 communes. Mais puisque ces mesures péréquatives devraient justement, selon le Conseil d’Etat, accompagner la RIE III, il est indispensable  de l’intégrer aux simulations. Il faut tenir compte d’une part des nouveaux résultats péréquatifs et, d’autre part, des pertes fiscales qui toucheront directement les budgets communaux. Qu’en  est-il alors vraiment de ces nouvelles mesures péréquatives ?

Deux modifications pour plus de solidarité

La suppression de la valeur du point d’impôt écrêté comme référence

Le changement le plus significatif est sans aucun doute la suppression de la valeur du point d'impôt communal écrêté dans la péréquation indirecte et directe 2. Dans le système actuel, lorsqu'une commune est écrêtée - une participation est demandée aux communes à fort potentiel fiscal, afin de financer une partie de la facture sociale -, sa capacité financière est diminuée d'autant. Le potentiel fiscal mesuré après écrêtage diminue donc pour les communes écrêtées. Le tableau ci-dessous montre un exemple simplifié d'une commune fictive :

Capacité financière en CHF

Taux d’impôt (coefficient fiscal)

Valeur du point d’impôt en CHF

Ecrêtage en CHF

Capacité financière après écrêtage

Valeur du point d’impôt écrêté en CHF

Système actuel

10'000

80

125

2'000

8'000

100

Système proposé par le Conseil d’Etat

10'000

80

125

2'000

-

-

 

La  valeur  du  point  d’impôt  écrêté  est  l’indicateur  actuellement  utilisé  pour  répartir  le financement de 70% de la facture sociale3, définir l’alimentation du fonds de la péréquation directe et établir les plafonds des dépenses thématiques. En supprimant cet indicateur pour ne conserver que la valeur du point d’impôt (non écrêté), les valeurs de référence ne diminuent plus  pour les communes écrêtées :  la moyenne de l’ensemble des communes  augmente  –passant de 43.86 à 46.01 en CHF par habitant selon les acomptes 2016. Dès lors, les effets suivants peuvent être constatés :

  • Augmentation des redistributions de la couche solidarité. La moyenne de l’ensemble des  communes  étant  plus  élevée,  davantage  de  communes  ont  un  potentiel  fiscal considéré comme moins favorable ;
  • Augmentation du taux de prise en charge du dépassement concernant les dépenses thématiques de 72% actuellement à 75% ;
  • Les communes écrêtées participent davantage au financement de la facture sociale ;
  • La  quasi-totalité  des  communes  écrêtées  participent  davantage  à  l’alimentation  du fonds de péréquation

Augmentation du plafonnement de l'aide péréquative

Le plafond  de l’aide péréquative a pour objectif de limiter les flux financiers en faveur des collectivités, afin de ne pas soutenir artificiellement leur ménage communal. Ainsi, un effort péréquatif « négatif » signifie que les redistributions réalisées par la péréquation directe (sans la couche des dépenses thématiques) sont plus importantes que les participations au fonds de  péréquation  directe  et  à  la  facture  sociale.  L’effort  devient  de  l’aide  péréquative.  Cette dernière est actuellement limitée à l’équivalent de 5.5 points d’impôt. Le Conseil d’Etat propose d’augmenter cette limite à 8 points à terme.

Si l’on tient compte de l’ensemble des effets exposés jusqu’ici, c’est environ CHF 47 mios de participations supplémentaires qui sont demandés à 50 des 61 communes écrêtées (à forte capacité financière). Etant donné que le système est un circuit fermé, le total des soldes nets péréquatifs est identique avant ou après cette réforme, pour autant que les données de base de changent pas. Par conséquent, l’augmentation des participations de certaines communes se fait au profit de l’ensemble des autres. La question de l’augmentation de la solidarité entre les communes reste une question politique.

Comment comprendre les résultats

En  revanche,  l’interprétation  des  résultats  se  base  avant  tout  sur  des  aspects méthodologiques.  Le Conseil d’Etat expose sa réforme de la manière suivante : à l’horizon 2020, avec une solidarité renforcée entre les communes, 268 communes seront favorisées. C’est bien le système que nous avons présenté. Mais les données utilisées pour obtenir ces résultats ne tiennent pas compte des pertes fiscales de la RIE III, ni la redistribution de la compensation  de  la  Confédération.  Peut-on  alors  véritablement  dire  que  268  communes seront favorisées ? Oui sans la RIE III, mais certainement pas en l’intégrant dans le modèle proposé.  En  effet,  en  tenant  compte  uniquement  des  pertes  fiscales,  ce  n’est  pas  50 communes qui seront perdantes, mais 217 ! Plus intéressant encore, parmi les 50 communes qui devraient participer davantage, 13 vont en réalité voir leur facture péréquative diminuer.

Ceci s’explique par des pertes fiscales importantes dans ces communes, ce qui va modifier leur position relative par rapport aux autres collectivités.   Et ces estimations sont uniquement basées sur les résultats péréquatifs, sans prendre en compte les pertes fiscales directes des communes. La RIE III devrait véritablement redistribuer les cartes de la fiscalité communale. C’est  pourquoi,  l’UCV  travaille  sur  des  modèles  péréquatifs  qui  prennent  en  compte  non seulement la solidarité entre les  communes, mais également les impacts de la RIE III et la redistribution  de  la  compensation  fédérale.  Ces  modèles  devraient  être  prochainement discutés avec les différents partenaires, afin de concevoir une solution durable et efficace pour accompagner la RIE III.


1 La capacité financière d’une collectivité publique évalue les ressources financières dont elle peut disposer, afin de financer son budget. Ces ressources proviennent généralement du rendement des impôts qu’elle prélève. Le potentiel fiscal représente la capacité financière normalisée et relative, à savoir une mesure qui est comparable entre les communes.

2 Pour plus d’explication sur le système péréquatif vaudois, lire « La péréquation en questions »

3 Le solde est financé par l’écrêtage et les impôts conjoncturels

 

Article écrit par :

Gianni Saitta - Directeur et Conseiller en stratégie et gestion financières publiques à l'UCV jusque juin 2021